vendredi 2 mars 2018

Le Rocher-aux-Oiseaux avant son phare...

Digital file from b&w film copy neg.
http://hdl.loc.gov/loc.pnp/cph.3a07858

Une visite virtuelle à la bibliothèque du Congrès américain (Library of Congress) a révélé cette photo éloquente du Rocher-aux-Oiseaux en 1864, avant que l'on y érige un phare.  Le rocher nous y apparaît vierge et dénué de toute trace humaine.

Attribuée à William H. Pierce, cette photographie fut prise dans le cadre d'une expédition vers l'Arctique avec l'explorateur, peintre et photographe William Bradford.
 " De 1861 à 1867, Bradford organisa lui-même chaque année, grâce à divers commanditaires, un voyage le long des côtes de la Nouvelle-Écosse et du Labrador, pour y peindre des icebergs et des paysages nordiques."  
On comprend comment il a pu être inspiré pour ses magnifiques compositions marines.



 Topoweb: 

Site web Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, consulté le 1 mars 2013, http://www.loc.gov/pictures/item/2012645592/
Site web The Athenaeum displaying artworks for William Bradford, consulté le 2 mars 2013, http://www.the-athenaeum.org/art/list.php?m=a&s=du&aid=423

jeudi 1 mars 2018

Franklin Delaney, portrait d'un bâtisseur... 1940-2018

Source photo: CFIM

Franklin Delaney est né en 1940 à Havre-aux-Maisons, aux Îles-de-la-Madeleine, il est le fils de Albert Delaney et de Claudia Arseneau. Dès l’âge de 13 ans, il quitte les Îles pour ses études classiques (B.A.) au Collège de Bathurst au Nouveau-Brunswick, qu’il termine en 1961. Il est ensuite licencié en droit de l’Université d’Ottawa en 1967 et admis au Barreau du Québec en 1968. Dès sa sortie de l’Université, il entre au CRTC, en devient le secrétaire et quitte l’organisme en 1971 pour acquérir et diriger une entreprise de stations de radio au Québec jusqu’en 1982.


Il participe aussi à différents projets dans le domaine des communications. De 1982 à 1990, monsieur Delaney est au service de la Société Radio-Canada comme conseiller du président, puis devient premier vice-président de la Société et vice-président de la télévision française. Il est aussi président fondateur de TV5 en 1988.

À partir de 1990, il agit à titre de consultant pour plusieurs entreprises, organismes et gouvernements dans le domaine de la radio, de la câblodistribution, des télécommunications, de la production télévisuelle et cinématographique. De 1998 à 1999, il préside TQS inc. Au cours de sa carrière, il a participé à de nombreuses études et rapports dans le domaine des communications ; il fut particulièrement actif dans la promotion de l’audiovisuel de langue française. Il a siégé aux conseils de plusieurs organisations dans le secteur des communications, des arts et de la philanthropie.

Le 9 juin 1999, la France lui a conféré le grade d’Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres, l’une des principales décorations de la République française, pour sa contribution remarquable dans le domaine des communications. Dans ce même créneau ainsi que son action communautaire aux Îles-de-la-Madeleine, le Gouverneur général du Canada le nomme membre de l’Ordre du Canada en novembre 2012. Pour les mêmes raisons, il lui remit aussi la médaille du jubilé de diamant de la Reine Élisabeth II.

En 1999, il réalise à la demande de la ministre d’État aux Affaires municipales et à la Métropole un rapport concernant les regroupements municipaux aux Îles-de-la-Madeleine. Celui-ci est accepté par la majorité des maires et par le gouvernement du Québec. La nouvelle municipalité voit le jour en janvier 2002. Cette même année, on
 lui confie le mandat de réaliser une étude de faisabilité sur le réseau de télécommunication à large bande entre les Îles-de-la-Madeleine et le continent et, en janvier 2003, on lui confie la réalisation du projet en découlant. Le Réseau intégré de communications électroniques des Îles-de-la-Madeleine (RICEIM) obtient les millions nécessaires à la construction d’un câble sous-marin en fibre optique entre la Gaspésie et les Îles et une partie du déploiement du réseau de fibres optiques des Îles grâce à son talent de mandataire auprès de différents paliers gouvernementaux et privés (Bureau fédéral de développement régional [Québec], Télébec, etc.)  

Franklin Delaney vivait à Montréal, mais visitait ses Îles natales plusieurs fois par année. L’an dernier, lors d’une discussion, j’ai eu l’occasion de lui demander une mise à jour de son CV que je souhaitais utiliser pour terminer sa biographie, comme celles de toutes les personnalités des Îles qui m’apparaissaient manquantes dans nos archives. Il a ri en me disant qu’il s’était fait demander justement la même chose par son collègue siégeant sur le comité pour les résidences Plaisance, Monsieur Léonard Aucoin. Je lui avais souligné que son parcours hors de l’ordinaire serait difficile à résumer sans que ça devienne un roman. Et il riait toujours lorsqu’il est reparti pour ses réunions de mandataire, pour ne pas dire missionnaire.  

Ayant travaillé avec lui plusieurs semaines dans le cadre de son mandat de 2002 à la MRC, j’ai eu l’occasion de bien connaître ce bourreau du travail et surtout porteur d’idées aux ampleurs démesurées. Il fut un mentor extraordinaire pour de nombreux madelinots en quête de réalisation. Pour lui, le mot impossible n’existait pas.

Tout en travaillant à ses multiples projets, Monsieur Delaney obtient une certification universitaire en gouvernance de sociétés, comme administrateur de sociétés certifié en 2009. Très impliqué dans le monde de l’éducation, avec les acteurs locaux visant la réussite scolaire des élèves, il n’hésitait pas à vérifier sur le terrain, avec les anciens étudiants universitaires (dont moi-même) ce qui aurait pu ou non être un frein à leur parcours scolaire aux Îles-de-la-Madeleine. Il fut ainsi l’instigateur de l’implantation d’un madelibus retournant les élèves qui avaient besoin de demeurer plus longtemps à la Polyvalente pour de l’encadrement ou des activités parascolaires. Il fit de même avec un programme d’ouverture de la bibliothèque du Campus en soirée, grâce à un soutien de la Fondation Madeli-Aide, autre organisme où il ne comptait pas ses heures. La Fondation Madeli
Aide pour l'éducation finance des initiatives locales visant à prévenir l’abandon scolaire et à favoriser la réussite éducative des jeunes madelinots. Depuis 2006, la Fondation a versé plus de 850 000 $ au Groupe Persévérance Scolaire, sans compter les bourses annuelles accordées et autres activités soutenues depuis sa création en 1998. Plus récemment, dans l’optique des travaux de construction du Campus des Îles, il prit part à sa première planification stratégique, ne refusant aucune invitation vouée à l’amélioration de l’accès à l’éducation.

Ces petits gestes, hors des grands chantiers qu’on lui connait, révèlent comment le développement des Îles comptait pour lui. Il se souvenait de ses jeunes années loin des siens, pour poursuivre ses études, et tenait à rendre le parcours plus facile pour la relève de jeunes Madelinots. Cela ne pouvait se faire sans une amélioration constante du service des communications.

Lors de la Soirée de l’entrepreneur de la Chambre de commerce, le 21 octobre 2017, il reçut le prix des Bâtisseurs. Ce fut une de ses dernières apparitions publiques aux Îles. La nouvelle de son décès le 1er mars 2018, suite au cancer, a jeté les Madelinots et ses collaborateurs dans la consternation, persuadés de le voir gagner aussi cet ultime combat. En plus de laisser dans le deuil son épouse Geneviève, ses deux filles Chantale et Danielle, de même que de nombreux parents et amis, les Îles perdent un grand homme, un ambassadeur, un philanthrope et un bâtisseur hors du commun. Merci Franklin !




Références :
Radar 9 juin 1982, 18 juin 1999, p.1 et 3
Le Radar, 22 juillet 1986, p.1 et 7
Le Radar, 17 novembre 2017, p.6
L’Hameçon, vol. 13 no 5, juin 1988, p.12-15
Fondation Madeli-Aide, www.madeli-aide.org


Entretiens du CARDI avec Franklin Delaney
Hélène Chevarie, archiviste


lundi 26 février 2018

Naufrage d'Auguste LeBourdais, le vrai récit raconté à ses parents en 1872

Voici la transcription (1) d’une lettre qu’Auguste aurait envoyée à ses parents au printemps 1872 (en juin selon son petit-fils Guy Le Bourdais), après qu’il eu récupéré de son naufrage et qui vient corriger plusieurs faits ancrés dans la légende qui y est reliée. Auguste a alors 29 ans, il s'ennuie et éprouve le besoin de raconter son aventure à ses parents et dans sa langue maternelle.
Combiner l'audio, à la lecture de la lettre d'Auguste Le Bourdais :

« Chers et bons parents,

Ces quelques mots sont pour vous faire assavoir l’état de ma santé qui est assez bonne, mais comme je vous avais dit sur l’autre lettre que je m’étais gelé, je suis dans une situation assez triste. J’ai perdu les deux pieds qui me sont tombés dans le commencement de janvier. J’ai la vie seule qui a été ma consolation Dieu merci, car vous savez peut-être à présent que le jour du 28 novembre 1871, qu’on a fait côte qui était le mardi soir. Tout l’équipage s’est perdu ainsi que le pauvre D’Assise que vous pouvez prier le Bon Dieu pour lui et le faire recommander aux prières du prône. Le temps était si terrible que je ne vous dirai point ce qui en suit, seulement moi qui me suis sauvé et la vie m’a coûté cher. J’ai vu la mort de proche de moi. Le lendemain après avoir passé la nuit sur le bâtiment qui était en partie défait, ce fut que vers le soir que je vins à terre sur les débris. La neige épaisse qu’il faisait m’empêchait de voir dans quel endroit où on pouvait être, de sorte que je ne savais pas quel côté prendre, et je vous assure que quand on roule à terre avec la mer et quand la connaissance nous revient qu’on est dans le frazi (2) à terre parmi la glace et les bois sur le rivage son butin gelé sur soi, on n’est pas chaudement et avec cela la faim et la soif qui me dévoraient, et mes forces étaient presque épuisées de m’être tenu si longtemps sur le bâtiment qu’il ne se passait pas cinq minutes sans que la mer veuille m’emporter, et ce qui arriva aussi que la mer m’emporta. Pour aller au plus court depuis le mercredi au soir jusqu’au dimanche, le mauvais temps continua toujours avec violence je passai ce temps-là sur la dune de sable qui est entre la Grosse Île et l’Étang du Nord (papa doit connaître cela) à l’abri du vent, sans voir personne, la neige qui tombait sur moi et mon butin gelé, sans feu, couché sur la terre, la seule nourriture que je pouvais recueillir était de la neige, rien sur la tête. Je m’apercevais que mes forces diminuaient, mes bottes gelées dans mes pieds et les pieds gelés dans mes bottes, j’étais à peine capable de me tenir debout. J’essayais de marcher, je tombais, je marchais à quatre pieds dit-on, sur les mains et les genoux. J’avais les mains enflées d’environ un pouce d’épais.

Les places qu’il y avait un peu de neige je restais des cités de temps sans pouvoir me grouiller, attendant la mort, mais elle ne venait point. Toujours le courage à la vie, les nuits du mercredi, jeudi, vendredi et samedi furent des nuits terribles pour moi dans pareil endroit avec une neige épaisse, un vent terrible et un froid extrême. Ce fut que le dimanche que le temps s’est éclairci. Je voyais des maisons mais j’avais perdu mes forces et je ne pouvais m’y rendre ni être vu. Je ne savais à quel Saint me recommander, et je vis un homme de très loin. Ne pouvant être entendu par mes cris, je me dirigeai vers lui quand je vis une fumée à une certaine distance. Le courage me revint et je parvins à m’y rendre seul, et de là, je fus transporté aux maisons où j’ai perdu les pieds et bien manqué de mourir. Les mois de décembre et janvier on était obligé de m’asseoir et de me lever quand j’avais besoin. L’hiver a été dur pour moi, je vous assure. Voilà six mois que je suis sur un galetas de paille, pas capable de marcher ni seulement pouvoir supporter mon genou sur mes pieds. À l’heure qu’il est je crois bien que je ne descendrai pas à l’Islet. J’irai à l’hôpital en arrivant à Québec, car jamais je ne pourrai retourner à la mer, et je ne serai pas capable de travailler de sitôt. Je ne suis point parti avec le paquebot car il faut que j’attende la Canadienne pour que le Gouvernement paye mes dépenses cet hiver et m’envoie à l’hôpital m’achever de guérir. Il n’a pas été sauvé un morceau de butin ni un homme sur dix qui sont noyés de manière que j’ai seulement le butin que je me suis sauvé avec. Je pensais bien que la Canadienne serait ici à présent, les journées sont longues presque toujours seul assis sur mon lit dans une chambre, quand je vois quelques-uns, c’est des étrangers. Il faut que la Providence vienne à moi sans cela je ne sais pas ce que je vais devenir. Je ne dis plus rien sur ce papier car il est impossible d’écrire sur le papier ça serait trop long. Ecrivez-moi à Québec. Adressez comme ceci : Messirs Julien & Frères, rue St-Paul, Basse-Ville, Québec, pour remettre à Auguste Le Bourdais. Ça fait qu’à mon arrivée je saurai de vos nouvelles et dites-moi de quelle situation vous êtes, j’espère monter dans ce mois-ci, le printemps a été terriblement dur ici il y a encore de la glace à l’entour des Îles. Compliments à ceux qui s’informent de moi, parents et amis. Au plaisir de se revoir encore.
  
Votre tout dévoué fils, Auguste

Je m’ennuie beaucoup, parler l’anglais ça m’étrangle, et le dedans qui a été tant malmené cet hiver ça m’échauffe. Je bois de l’eau, ça vient à se passer quand je dors il y a que dans ce temps-là que je m’ennuie pas. Je pensais toujours être bien pour pouvoir marcher, mais c’est autrement. J’attends la Canadienne d’un jour à l’autre. J’ai su par le commis de la malle qu’il avait parlé à Louis Fortin de Pictou et qu’il vous avait télégraphié de suite. Si j’avais cru être aussi longtemps ici je vous aurais dit de m’écrire. La fin de mon papier. J’ai su qu’il y avait six naufrages sur l’Anticoste et que la Canadienne y était allée au lieu de venir aux Îles de la Madeleine.

Auguste (3) »


(1) La ponctuation et le choix des mots n'ont pas été retouchés

(2) Frazi ou frasil : ce mot des Îles vient peut-être de l’anglais freeze. Il rappelle également le mot picard friselis. Il désigne un état entre l’eau et glace lors des premiers gels, sous forme de fine pellicule ou de morceaux épars (référence Chantal Naud, Dictionnaire des régionalismes des îles de la Madeleine, Québec Amérique, 2011, p.134)

(3) Guy Le Bourdais, Histoires oubliées de Guy à Gaudiose à Auguste à...Nous restituent le charme troublant d'époques disparues. Québec, Éditions AGMV Marquis, 2004, p. 116-117.