UN PLÉBISCITE SUR LA PROHIBITION
par Jacques Carl Morin
La première consultation populaire au Canada
fut tenue à la fin du 19e siècle. Elle portait sur la prohibition
des boissons alcooliques. Les résultats de ce plébiscite, comme on appelait
alors les référendums, firent apparaître clairement les deux
solitudes qu’évoquera plus tard Hugh MacLennan.
Dans la foulée des croisades
contre l’ivrognerie menées aux États-Unis au 19e siècle, le Canada
emboîte le pas et adopte diverses mesures législatives visant à restreindre le
commerce de l’alcool sans l’interdire complètement. Des groupes veulent aller
plus loin et préconisent l’abstinence totale; ils font pression sur le
gouvernement fédéral afin que celui-ci décrète la prohibition. Le premier
ministre John A. Macdonald, un grand consommateur d’alcool, ne cède pas.
En 1893, le congrès national
du Parti libéral adopte une résolution en faveur d’un référendum pancanadien
sur la prohibition de l’alcool. À la suite de la victoire de Wilfrid Laurier
aux élections de 1896, son gouvernement fait adopter l’Acte concernant la prohibition de l’importation, fabrication et vente
des liqueurs enivrantes qui prévoit que la question suivante sera soumise
au vote des électeurs :
Êtes-vous en faveur de
l’adoption d’un acte
prohibant l’importation,
la fabrication ou la vente des spiritueux, vins, aîle, bière, cidre et toutes
autres liqueurs alcooliques servant de boisson ?
|
OUI
|
NON
|
Cette première consultation
populaire de l’histoire en sol canadien donne lieu à des débats passionnés
entre les tenants de la prohibition de l’alcool et les opposants.
Le 29 septembre 1898,
quelque 44 % des électeurs, tous mâles comme c’est la loi à l’époque, se
donnent la peine d’aller voter. Au Québec, le « NON » réunit 81 % des
suffrages exprimés soit 122 614 contre 28 582.
Dans le district
électoral de Gaspé qui inclut les Îles-de-la-Madeleine, le « OUI »
recueille 158 (10,5 %) voix et le NON 1341 (89,5 %). Aux-Îles-de-la-Madeleine,
les résultats officiels sont les suivants :
POUR
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CONTRE
|
Nombre d’électeurs inscrits
|
|
Amherst
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2
|
30
|
142
|
Île d’Entrée
|
0
|
17
|
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St-François-Xavier-du-Bassin
|
3
|
57
|
194
|
Étang du Nord
|
7
|
92
|
198
|
Barachois Nord
|
0
|
34
|
94
|
Cap aux Meules
|
8
|
29
|
122
|
Havre-aux-Maisons (Dune du Sud)
|
0
|
13
|
71
|
Île Allbright
|
0
|
17
|
152
|
The Coffin (Grande Entrée)
|
0
|
17
|
80
|
Île Wolf, Bryon, etc.
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2
|
4
|
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Total pour les
Îles-de-la-Madeleine
|
22 (6,6 %)
|
310 (93,4 %)
|
1053
|
Huit circonscriptions québécoises
comptant une bonne proportion d’anglo-protestants (Argenteuil, Brome, Compton,
Huntingdon, Montréal-Saint-Antoine, Pontiac, Sherbrooke et Stanstead) sont
favorables au bannissement des boissons alcooliques. Sur l’île de Montréal,
seuls les électeurs de la circonscription de Saint-Antoine disent majoritairement
« OUI » à la prohibition.
À l’extérieur du Québec,
c’est la victoire des buveurs d’eau qui favorisent nettement le OUI 249 905 (63,77 %) contre 141 957
(36,23 %). Mais dans l’ensemble du Canada qui comprend alors
sept provinces et trois districts, le « OUI » l’emporte de justesse 278 487 (51,2 %) contre 264 571
(48,8 %), soit un écart de 13 916 voix. Ce vote favorable à la
prohibition ne représente en fait que 22.5 % de l’ensemble des électeurs
inscrits.
Devant un résultat aussi mitigé, Laurier n’imposera pas
la prohibition et laissera les provinces et les municipalités le soin d’agir en
cette matière.
Sources :
Rapport
du greffier de la Couronne en chancellerie, Documents de la session, volume 14,
8e Parlement, session 1899, volume XXXIII, numéro 20.