Il est
un peu difficile d’authentifier une date
aussi importante que celle de l’arrivée des principaux groupes d’acadiens fondateurs
aux Îles-de-la-Madeleine mais plusieurs écrits permettent de cerner les
principales périodes d’arrivées de ces ancêtres. À défaut de fixer une date, nous énumérons ici
un certain nombre de ces écrits historiques pour baliser ces principales
périodes et comprendre le choix de l’année 1793 plutôt qu’une autre, comme année
de commémoration officielle.
Le premier registre
Tout
d’abord, dans le premier registre de
paroisse en date du 27 juillet
1793, le Père Allain explique pourquoi des enfants nés l’année précédente ne
sont baptisés qu’en 1793. Il utilise la formulation suivante : « à défaut
d’église et de saintes huiles », il ne dit pas « à défaut de prêtre ». Il faut
noter que les Îles furent desservies par une succession de prêtres
missionnaires jusqu’à l’arrivée du Père Allain dont l’année de référence est
1792 selon une lettre du missionnaire Lejamtel, mais 1793 selon les écrits du
Père Alfred E. Burke (the Burke Chronicles).
Bien
que l’abbé Leroux exerça avant lui une présence cruciale pour que les engagés de
Gridley rapatrient leur famille sur les Îles, de 1774 à 1793, l’arrivée du Père
Allain accompagné d’une masse plus importante de nouveaux colons sera celle qui
marquera la mémoire des Madelinots. Sa présence sur une base annuelle avec, de
surcroît, une petite église pour réunir ses paroissiens, font de l’année 1793
celle de la commémoration habituelle de l’arrivée des familles fondatrices.
Correspondance du missionnaire Lejamtel à son évêque
Le 4
juin 1793, Lejamtel écrivait, pour la première fois, au nouvel évêque de Québec
Monseigneur Hubert : « ... j’étais le troisième missionnaire des îles
Saint-Pierre et Miquelon, près de Terre-Neuve, et j’aurais dû échapper à cette
loi inique ; mais la Divine Providence ne voulut pas que j’en sois exempté plus
que les autres. À deux reprises j’ai refusé de signer le serment “à la
République française”, mais à mon troisième refus, ma vie aurait été en danger
si je n’avais pas cherché refuge en terre étrangère. L’officier commandant de
la garnison m’ordonna de prêter serment ou de quitter sur-le-champ. L’autre
missionnaire, monsieur Allain, partageait ma foi, et nous avons fui aux îles de
la Madeleine au mois d’août dernier (1792). Ensuite, je me suis rendu à Halifax
voir le révérend Père Jones, qui nous a installé monsieur Allain et moi,
missionnaires dans les régions de la Nouvelle-Écosse. Monsieur Allain a obtenu
la charge de Chéticamp et les îles de la Madeleine, et moi, celle d’Arichat et
Tracadie ».
Correspondance du Lieutenant gouverneur Macarmick
Le 1er
novembre 1792 dans la lettre qu’il écrivait à son supérieur Henry Dundas,William Macarmick, Lieutenant gouvemeur du Cap Breton, lui parle d’une lettre qu’il a reçue de
Lejamtel où il lui raconte son infortune dans les mêmes termes que ci-haut,
mais il ajoute qu’il a déjà prêté serment d’allégeance à Sa Majesté britannique
en Nouvelle-Écosse. Macarmick termine son rapport en soulignant qu’il pense
permettre à Lejamtel de passer l’hiver en attendant une décision favorable de Sa
Majesté.
Recensement
d’un agent de Coffin
Un recensement des agents de Sir Isaac
Coffin, conservé aux Archives du Nouveaux-Brunswick, permet de confirmer la
présence de 5 familles d’Acadiens dès 1791, soient des Thério (Thériault) à
Havre-aux-Maisons, Un Vigneau à Havre-Aubert et un Grenier à l’Ile d’Entrée! 13 familles seraient ensuite arrivées en 1792,
14 autres en 1793, un en 1794 et 8 en 1804, alors que l’abbé Alain reprend une
charge de missionnaire. Ce recensement,
non daté mais dont l’original serait signé par Coffin lui-même, dénombre 223
personnes aux Îles à ce moment.
Les
chroniques de Père Alfred E. Burke (The Burke Chronicle) à l’évêque de
Charlottetown
Un cinquième élément vient s'ajouter à toutes
ces informations, soit celui de la présence du missionnaire Leroux, avant celle
de l'abbé Allain. La lecture de Burke Chronicles révèle ces faits
importants : En 1885, le père Burke, ordonné le 30 mai de cette année et
nommé assistant à la cathédrale et secrétaire de l'évêque de Charlottetown,
entreprend une biographie des paroisses de l’évéché, incluant celle des Îles. Dans son récit, quatre familles françaises
résidant à St. Peters' Bay à l'Île-du-Prince-Édouard ( Boudreault, Chiasson,
Lapierre et Cormier) acceptent d’habiter aux Îles sous les ordres du colonel
Gridley sous condition d’avoir un prêtre permanent et à ses frais. C’est donc
au Québec que le colonel Gridley demanda et obtint les services de l'abbé Leroux, qui servi la mission jusqu'en
1793.
Notons que le dictionnaire biographique du
Canada mentionne que l’abbé Leroux arriva au Canada tard en 1773 ou à l’été de
1774 et que dès son arrivée, on l’envoya desservir une quinzaine de familles acadiennes
à Havre-Aubert, aux Îles de la Madeleine. Il se partageait entre cet
avant-poste et les établissements acadiens de l’île du Cap-Breton et de l’île
Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard).
Toujours selon les écrits du Père Burke, les
quatre familles pionnières furent bientôt rejointes par d'autres, et lorsque la
première petite église fut construite au pied de la butte des Demoiselles, on
dit que le nombre de ménages était de quinze, ce qui concorde relativement bien
avec les recherches de Pierre-Cornélius Carbonneau et Rose-Delima Gaudet à
partir souvent de sources orales, dans les années 60, de même que la liste des
engagés de Gridley disant demeurer sur les Îles sous conditions d’y avoir un
prêtre permanent. Voir l’article suivant sur l’époque Gridley dont une grande partie repose sur les écrits de Madame Pauline Carbonneau, qui offre généreusement son soutien pour l'histoire des Îles au Centre d'archives. Voir aussi la date de signature du serment d’allégeance.
Aussi, grâce aux recherches de Madame Chantal Naud à l'Université de Moncton, nous savons que la liste de ces engagés fut publiée en 1927 dans Société historique acadienne. Celle-ci reproduit l'original d'un document de 1765 conservé aux archives de Londres, écrit par l'agent de Gridley, F.S Allwright, et intitulé : "Answer to the several enquirys respecting the State of the Magdelen Islands and the Sea Cow Fishery there ". Une copie provenant de notes de cours de madame Naud, est reproduite ci-contre. Nous ne pouvons que souligner l'inestimable apport à l'histoire des Îles que constitue le fruit de ses recherches et l'enseignement qui en a découlé au cours des ans.
La petite église était un bâtiment de
seulement vingt pieds de longueur: une partie de celui-ci était divisée pour
servir d'habitation au prêtre. Avant que l'abbé Leroux ne retourne au Québec,
plusieurs familles avaient émigré de Saint-Pierre-et-Miquelon vers les îles-de-la-Madeleine,
et le nombre d'habitants dans la paroisse de Notre-Dame-des-Monts (comme on
l'appelait alors) fut considérablement augmenté.
Dans Burke Chronicle, on mentionne que c’est
en 1793 que l'abbé Allain arriva pour remplacer l'abbé Leroux, et le 5 janvier
1794, il convoqua une assemblée de ses paroissiens durant laquelle Louis
Boudreault, Nicolas Cormier et Joseph Bourgeois furent élus marguilliers.
En 1797, l'abbé Allain quitta les
îles-de-la-Madeleine et fut remplacé par l'abbé Lejamtel qui resta jusqu'en
1803, alors que l'abbé Allain revint et demeura un an, période au cours de
laquelle il fut parfois assisté dans ses travaux par l'abbé Gabriel Champion.
Source:
Centre d’Archives régional des Îles (Traduction, recherches et textes pour cet article)
Citations et références :
Carbonneau Pauline. Découverte et peuplement des Îles de la Madeleine, Humanitas, 2009, p.69-72.
Della M. M. Stanley, « LE ROUX, THOMAS-FRANÇOIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 14 août 2017, http://www.biographi.ca/fr/bio/le_roux_thomas_francois_4F.html.
Falaise, Noël. Les Îles-de-la-Madeleine sous le régime français, Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 4 no 1, 1950, pp.17-18
Fonds AC1-S21 Chantal Naud – Lettre d’opinion de Charles Cormier en 2003.
Fonds AC1-S21 Chantal Naud -- 4, 2011, 15 sept. Cours IV Copie 2
GAUDET SR, Rose-Delima. La place de l’Église catholique aux Îles-de-la-Madeleine. Sessions d'étude-Société canadienne d'histoire de l'Église catholique, 1979, vol. 46.
Fortin, Jean-Charles et Paul Larocque.
Histoire des Îles-de-la-Madeleine, IQRC, 2003, p.75-79
The
Burke chronicles edited by Ernest MacDonald, 2007, p.225-228
Poirier, Michel. Les Acadiens aux îles
Saint-Pierre et Miquelon. Moncton : les Éditions d’Acadie, 1984, p.7, 46 et
cartes p. 23-25
Société historique acadienne cahier no 29 (3)9, 1927, pages 369-372.
Stuart R. J. Sutherland. "Richard
Gridley" dans Dictionnaire biographique du Canada en ligne, 1771-1800
(Volume IV), consulté le 4 octobre 2012.